Portrait de Jules Crevaux

Jules CREVAUX [1847 - 1882]

Crevaux est une figure marquante de l'exploration scientifique française de la fin du XIXe siècle. Savant aventurier original, sa vie fut aussi romanesque que brève.

Crevaux voit le jour à Lorquin, en Moselle, localité à laquelle il restera toujours très attaché. Il effectue ses études secondaires au lycée impérial de Nancy où il côtoie, entre autres, Henri Poincaré et Émile Gallé. Il s'oriente ensuite vers une carrière de médecin militaire et entre à l'école de santé navale de Brest. Il découvre alors l'océan, la navigation et les tropiques au cours de deux voyages qui le mèneront en Afrique, aux Caraïbes et en Guyane.

L'invasion prussienne de 1870, qui affecte très tôt sa région natale, le pousse à s'engager dans le conflit. Fait prisonnier il s'échappe et devient émissaire et espion au service de Léon Gambetta. La paix revenue, il obtient son doctorat et embarque en 1874 comme médecin à bord d'un navire affecté à La Plata, entre Argentine et Uruguay. Durant ses séjours à terre, il fréquente les milieux scientifiques de Buenos Aires et de Montevideo, qui le recommandent à leurs correspondants à Paris.

J'attribue le succès de mes entreprises à trois causes : une bonne santé, un peu d'audace et beaucoup de chance.

Jules Crevaux [conférence devant la Société de géographie de Paris, 1881]

Les expéditions de Crevaux

Jarretière de danse - Ethnie Wayana (en dépôt au Musée barrois)

Cette jarretière, constituée de graines de couaï (Cascabela thevetia), est portée à la cuisse droite par les initiés lors des danses précédant la cérémonie du maraké. Les mouvements rythmiques des danseurs font s'entrechoquer les graines qui produisent alors un son de grelots. Le maraké est un rituel initiatique très important dans la culture wayana. Il marque les étapes majeures de la vie des hommes, en particulier le passage de l'enfance à l'âge adulte. Durant cette cérémonie, les postulants doivent notamment subir l'application sur tout le corps de guêpes et de fourmis aux piqûres très douloureuses. Crevaux, qui connaissait bien cette ethnie, l'appelait pourtant "Roucouyenne", terme péjoratif faisant référence au rouge de rocou dont ses membres s'enduisent le corps.

De retour en France, deux ans plus tard, il sollicite et obtient, grâce à ces appuis, une mission d'exploration de l'intérieur de la Guyane, alors méconnu. Son projet est de remonter le fleuve Maroni en pirogue, de traverser les monts Tumuc-Humac à pied et de redescendre jusqu'à l'Amazone par le Yari en cartographiant les zones traversées, en décrivant les populations rencontrées et en récoltant des échantillons anthropologiques, ethnologiques, zoologiques, botaniques et géologiques, à l'attention des musées et des scientifiques parisiens. 

Cette expédition, entreprise à l'été 1877, dure quatre mois et son succès permet à Crevaux d'obtenir successivement deux autres missions : la remontée du fleuve Oyapock et descente du Paru jusqu'à l'Amazone, en 1878, puis en 1880 la remontée du rio Magdalena en Colombie, traversée des Andes et descente du rio Guaviare et de l'Orénoque jusqu'à son delta. 

Crevaux a une conception très personnelle de l'exploration scientifique : il lui importe de se fondre dans le milieu et de ne pas effaroucher les tribus locales avec lesquelles il veut établir des relations de confiance. C'est pourquoi il réduit son équipe et son matériel au strict nécessaire. À chaque retour, il remet ses échantillons et ses observations à ses commanditaires, mais il veille aussi à partager ses voyages au travers de publications et de conférences publiques. Il en donne notamment deux à Nancy, en 1879 et 1881, devant la toute jeune Société de géographie de l'Est où il retrouve quelques camarades de lycée. C'est probablement dans le cadre de ces rencontres qu'il fait don des trente trois-pièces d'artisanat amérindien inscrites à l'inventaire du Muséum-Aquarium.

Crevaux est au faîte de sa gloire quand est annoncé son assassinat par une tribu amérindienne au cours d'une mission en Bolivie. L'émoi suscité est à la hauteur de sa notoriété et la Société de géographie de l'Est ouvre une souscription publique afin de faire ériger un monument en sa mémoire. Celui-ci est toujours visible dans le jardin Godron qui jouxte le Muséum-Aquarium.

Dessins d'E.Riou, d'après des croquis de Crevaux
Voyages dans l'Amérique du Sud (1883)

WILLIG Christian, 2018.

Jules Crevaux. Nature en collections : Témoignages du vivant, Muséum-Aquarium de Nancy. Nancy, p. 20-25