L'anatomie clastique du docteur Auzoux

Le docteur Louis Auzoux innove au XIXe siècle en utilisant le carton moulé pour fabriquer des modèles pédagogiques entièrement démontables. Sa technique rencontre un grand succès dans l'enseignement de l'anatomie avant le développement des matériaux synthétiques.

Les montages taxidermiques sont des pièces courantes dans les collections d'un muséum d'histoire naturelle, largement utilisées pour l'enseignement et la démonstration en systématique et taxonomie. Les établissements renferment d'autres pièces plus spécifiques, dans des matériaux variés et adaptés à d'autres disciplines, dont l'anatomie comparée fait partie. Les collections du Muséum-Aquarium n'y font pas exception avec la présence de modèles en cire, en plâtre et plus rarement, en carton moulé. Ces dernières portent la signature du fabricant, les établissements du docteur Auzoux. 

Louis Auzoux, médecin de formation auprès de la faculté de médecine de Paris, a mis au point une technique révolutionnaire pour la réalisation de modèles anatomiques tridimensionnels et démontables, élaborés par moulage au moyen d'une pâte contenant du papier. À cette technique, il donnera le nom d'anatomie clastique, du grec klao, "mettre en morceaux".

Cet intérêt pour l'anatomie s'est manifesté très tôt durant ses études de médecine. Soucieux de perfectionner son apprentissage de la chirurgie, il élabore des maquettes et se met en quête d'un matériau malléable et suffisamment résistant pour reconstituer en trois dimensions les rapports et les volumes du corps humain. Il se confronte aux travaux de Felice Fontana (1730-1805), conservateur du musée d'histoire naturelle de Florence, dont un écorché humain démontable en bois de peuplier, L'Homme artificiel, se trouve alors conservé dans les locaux de la faculté de médecine de Paris. Le recours au carton dans la fabrication de modèles anatomiques revient à Ameline, professeur d'anatomie à l'école d'instruction de Caen, qui contrairement à Auzoux, fait appel à la technique du modelage et non du moulage.

Auzoux soumet les résultats successifs de ses travaux à l'Académie royale de médecine qui l'encourage vivement et finit par lui octroyer quelques financements. En 1825, il présente devant l'Académie des sciences un écorché humain complet, grandeur nature, et reçoit un accueil élogieux. Cette date marque le début d'une fabrication en série qui rencontre rapidement le succès, tant et si bien qu'Auzoux ouvre en 1828 une usine de production dans sa ville natale de Saint-Aubin d'Écrosville. La mise en vente des modèles est assurée par le biais d'une boutique située rue du Paon à Paris, ouverte dès 1833. À sa mort en 1880, le succès de son entreprise est toujours florissant. Progressivement le carton  moulé est supplanté par des matériaux synthétiques (plastique, résine) et les établissements Auzoux finissent par fermer au début des années 2000.

L'originalité de son procédé technique réside dans l'utilisation d'une pâte élaborée à base de papier et de liège (dont la composition était gardée secrète), moulée puis pressée. Après démoulage, les pièces sont assemblées à l'aide d'éléments métalliques, peintes, légendées puis enduites à la colle de poisson.

La réussite des modèles Auzoux est liée à l'apport considérable que la manipulation de telles pièces en trois dimensions a pu apporter dans l'enseignement et l'apprentissage de la médecine, là où l'intérêt didactique du dessin ou de la sculpture rendait plus difficile l'appréhension de l'agencement des organes du corps humain.

Daté de 1887, cet écorché humain est un modèle réduit de 1,16 mètre, assez répandu, destiné aux collèges et lycées. En effet, le prix élevé du modèle grandeur nature pousse Louis Auzoux à proposer des mannequins de taille réduite afin d'élargir leur diffusion. La partie gauche du modèle présente les nerfs, muscles et vaisseaux de la couche profonde, celle de droite les formations superficielles. La calotte crânienne et la cage thoracique s'ouvrent au moyen de crochets pour accéder aux organes internes, eux-mêmes démontables. En 2011, le lycée Henri-Poincaré de Nancy fait don de ce modèle au Muséum-Aquarium. Il a bénéficié d'une restauration en 2012.

Sensible à la systématique et à l'anatomie comparée, Auzoux élargit son offre à d'autres représentants du règne animal. C'est ainsi que l'on retrouve dans ses catalogues ce qu'il a nommé les "types d'animaux" (dindon, squale, hanneton, perche de mer, sangsue, boa). Le modèle de ver à soie est un agrandissement de l'animal sous sa forme juvénile (chenille), les formes adultes mâle et femelle ayant aussi été fabriquées par Auzoux. La partie supérieure du modèle se détache grâce à des crochets, laissant voir l'anatomie interne de l'animal. Le Muséum-Aquarium possède deux exemplaires identiques de ver à soie issus des établissements du docteur Auzoux, respectivement datés de 1881 et 1883.

DELAUNAY Sandra, 2018. 

L'anatomie clastique du docteur Auzoux [1797-1880]. Nature en collections : Témoignages du vivant, Muséum-Aquarium de Nancy. Nancy, p. 80-85