Portrait de Lucien Cuénot
Lucien CUÉNOT [1866 - 1951]
Scientifique de réputation internationale, surtout connu pour ses travaux sur l'hérédité et l'évolution, Cuénot est aussi le père de l'Institut de zoologie de Nancy, aujourd'hui appelé Muséum-Aquarium.
Enfant, Cuénot se passionne pour la faune et la flore des nombreux espaces verts que recèle alors Paris, sa ville natale. Élève brillant, il est bachelier à 17 ans et devient à 21 ans le plus jeune docteur en zoologie de France. D'abord préparateur à la faculté des sciences de Paris, il postule en 1889 pour être assistant de zoologie à Lyon. Mais, finalement, c'est à Nancy qu'il est nommé, Lyon étant attribué à un collègue nancéien contraint à s'exiler à cause d'une aventure adultérine. Cuénot dira plus tard qu'il doit sa nomination à une "fantaisie d'Éros".
Nancy et la Lorraine le séduisent, il y fera sa vie et sa carrière. En 1898, alors qu'il a juste l'âge minimum requis, il est nommé professeur de zoologie, titulaire de la chaire et directeur du cabinet d'histoire naturelle. L'enseignement le passionne et ses cours, illustrés de spécimens issus du cabinet, sont très appréciés pour leur clarté et l'humour du maître. Mais il s'investit aussi dans la recherche, notamment dans les domaines qui lui sont chers, de l'hérédité et de l'évolution.
Esprit libre, Cuénot soutient dès 1894 August Weismann qui postule l'existence d'un vecteur physique de la transmission héréditaire et affirme l'impossibilité de la transmission biologique des caractères acquis. Il s'oppose ainsi au consensus français qui ne conçoit le transformisme que dans une acceptation lamarckienne. C'est peut-être la cause de sa réception tardive, en 1931, à l'Académie des sciences alors que ses travaux lui ont depuis longtemps ouvert les portes de nombreuses académies étrangères.
Cuénot décède à l'âge de 85 ans sans jamais avoir cessé ses travaux scientifiques. Il est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands naturalistes français.
Les recherches de Cuénot
En 1902, il montre, grâce à des croisements entre des souris de différentes couleurs, que les lois de Mendel s'appliquent aux animaux. Il contribue ensuite notablement à l'édification de cette nouvelle science que l'on baptise bientôt génétique. Mais Cuénot s'intéresse aussi aux lignées évolutives des différents groupes zoologiques. Il matérialise ses réflexions sous forme d'un arbre généalogique du règne animal dont il réalise le premier dessin complet en 1939. Plusieurs versions suivent, dont une fait l'objet d'une maquette géante en bois peint, longtemps exposée au Palais de la découverte, à Paris. Cette monumentale représentation est aujourd'hui visible au Muséum-Aquarium.
Par ailleurs, Cuénot est préoccupé par la condition des collections d'histoire naturelle conservées à l'étroit dans des locaux inadaptés. Il souhaite les transférer dans un lieu spécialement conçu pour elles. Avec le cabinet d'architecture Jacques et Michel André, il élabore un projet original, tant par son apparence que par sa construction et son agencement : le premier étage, aveugle, destiné à abriter les collections dans les meilleures conditions possibles, semble flotter sur le rez-de-chaussée entièrement vitré dédié à l'enseignement. Cet Institut de zoologie voit le jour en 1933 sur une parcelle du Jardin botanique mis à disposition de l'Université par la Ville de Nancy. L'établissement devenu le Muséum-Aquarium, a été récemment classé monument historique pour l'originalité de son architecture.
Cuénot s'est attaché toute sa vie à comprendre les liens de parenté entre les différents groupes zoologiques. Pourtant, il attendra l'âge de 70 ans pour dessiner son premier arbre généalogique global du règne animal. Cette élégante représentation, pertinente à son époque mais aujourd'hui obsolète, souffre d'une importante faiblesse : basée sur un principe de filiation, elle se heurte aux inévitables lacunes dans la connaissance des faunes disparues. De plus, elle induit une hiérarchie implicite infondée entre groupes "primitifs" et groupes "évolués". Les arbres phylogénétiques actuels, basés sur la proximité génétique entre taxons, échappent à ces écueils.
En 1900, les lois de Gregor Mendel viennent d'être redécouvertes après un long oubli. Cuénot suspecte qu'elles s'appliquent aussi aux animaux. Pour le vérifier, il entreprend de croiser sur plusieurs générations des souris blanches de lignée pure et des souris grises sauvages. Ses travaux confirment son intuition et il en publie les résultats en 1902. Toujours préoccupé par l'enseignement, il commande à Eugène Renner, taxidermiste nancéien attaché au Musée d'histoire naturelle, ce tableau didactique montrant la transmission des caractères de couleur sur deux générations et la récession du caractère albinos.
WILLIG Christian, 2018.
Lucien Cuénot. Nature en collections : Témoignages du vivant, Muséum-Aquarium de Nancy. Nancy, p. 26-31