Portrait de Rowland Ward

La taxidermie de Ward

Le britannique Rowland Ward fonde au XIXe siècle une société de taxidermie qui acquiert rapidement une grande renommée au niveau mondial. Par souci de réalisme, il sera l'un des premiers à représenter les animaux dans leur habitat naturel.

Afin d'enrichir les collections du Muséum-Aquarium, Lucien Cuénot réalise de nombreux achats au début du XXe siècle. Il s'adresse à des fournisseurs renommés localement, à Paris, ou même à l'étranger. Parmi ceux-ci, les établissements Rowland Ward à Londres font figure de référence. La qualité des cinq naturalisations acquises auprès de ce magasin témoigne à l'époque du savoir-faire de cet établissement mondialement reconnu dans l'art de la taxidermie. 

Rowland Ward est issu d'une famille de taxidermistes. Son père, Edwin H. Ward, a côtoyé Jean-Jacques Audubon dans ses voyages, récoltant et préparant les oiseaux pour l'illustre naturaliste et dessinateur. Rowland Ward travaille quelques années aux côtés de son père avant de s'installer à son compte dans le quartier de Picadilly. Son magasin, baptisé "The jungle", attire une clientèle aisée, comptant chasseurs de gros gibier, musées ou collectionneurs privés.

Dès le début , Rowland Ward souhaite renouveler l'art de la taxidermie, au-delà "des vieilles méthodes alors en vogue". Il met à profit ses dons pour la sculpture et le dessin lors de ses nombreuses visites au zoo de Londres. Grâce à ses observations, il réalise des esquisses "d'après nature" qui lui serviront de base pour déterminer la pose la plus fidèle à l'animal de son vivant, se servant parfois de moulages en argile. Ces travaux sont ensuite réutilisés comme modèle par ses assistants. Le montage taxidermiste est réalisé à partir d'un squelette bois-métal recouvert d'un composé malléable, reproduisant les muscles et la chair, à la manière d'un écorché animal. Ensuite vient l'ajustement de la peau sur le montage. Par souci du détail et du réalisme anatomique, il est l'un des premiers à souligner la nécessité de se confronter aux dimensions précises de l'animal.

Il rencontre le succès dans les grandes expositions internationales avec de spectaculaires groupes d'animaux représentés dans leur habitat naturel. Ces montages impressionnent par leur expressivité dramatique, leurs dimensions (le plus souvent, plusieurs espèces de grande taille en position dynamique) et la restitution fidèle des mouvements et des postures des animaux, comme s'ils étaient saisis sur le vif. L'une de ces plus fameuses scènes, Éléphant attaqué par une tigresse, représente l'épisode d'une chasse en Inde durant laquelle le duc d'Orléans fut victime de l'attaque d'une tigresse bondissant sur son palanquin. Elle est toujours visible à Paris au Muséum national d'histoire naturelle, dans la Grande Galerie de l'Évolution. 

Rowland Ward diversifie ses activités en proposant des articles dérivés de la taxidermie, les Wardian furniture, intégrant peaux, cornes ou os d'animaux pour la fabrication d'objets du quotidien. Il publie également de nombreux ouvrages à destination des chasseurs ou naturalistes. L'établissement ferme définitivement en 1977.

Surnommé "loup peint" pour son pelage tacheté, le lycaon est un canidé exclusivement présent en Afrique subsaharienne. Autrefois très répandu, cet animal considéré comme nuisible a été abondamment chassé. Sa population est passée de 400 000 individus au début du XXe siècle à quelques 3 000 individus de nos jours, l'espèce étant désormais considérée en danger d'extinction. La magnifique naturalisation de lycaon acquise auprès des établissements Ward est le seul représentant de cette espèce au sein des collections du Muséum-Aquarium. Elle a été  achetée en 1930 (après la mort de Rowland Ward) pour 20 livres sterling, somme assez importante à l'époque. Le spécimen a bénéficié d'une restauration en 2002.

Les établissements Ward ont choisi de représenter le paresseux suspendu à une branche, en position "hamac", laissant apparaître les trois longues griffes de l'animal. La face est tournée vers l'observateur pour souligner l'extrême mobilité de la tête du paresseux, grâce à ses neufs vertèbres cervicales. Ce spécimen a été acheté en 1930 auprès de la maison de taxidermie londonienne et restauré en 2016 afin d'être présenté en exposition. L'étiquette Ward présente sous le socle indique la localité de la collecte de l'animal, le Parana, région au sud du Brésil d'où ce paresseux a aujourd'hui disparu à cause de la déforestation. Il illustre ainsi les effets des activités humaines sur la répartition des espèces. 

DELAUNAY Sandra, 2018. 

Rowland Ward, l'âge d'or de la taxidermie londonienne. Nature en collections : Témoignages du vivant, Muséum-Aquarium de Nancy. Nancy, p. 90-97