Les espèces éteintes
De nombreuses espèces sont aujourd'hui menacées sur Terre et les activités humaines n'y sont pas étrangères. Le muséum joue son rôle d'acteur privilégié pour transmettre et expliciter au public les problématiques scientifiques actuelles.
Les collections des muséums témoignent de la grande diversité du monde vivant. Ils ne sont pas pour autant représentatifs de la totalité des organismes, actuels ou fossiles, ayant fréquenté la surface du globe. De nouvelles espèces sont découvertes chaque année et on estime à 1,5 million le nombre d'espèces connues sur les 10 millions qui pourraient exister.
Cependant depuis l'entrée dans l'anthropocène, certains scientifiques évoquent aujourd'hui la probabilité d'une sixième extinction. La Terre a connu plusieurs grandes extinctions, celle de la limite Crétacé-Tertiaire qui a conduit à la disparition des dinosaures il y a 65 millions d'années reste la plus connue. Mais depuis la fin du XVIIIe siècle, avec le développement des activités humaines et la révolution industrielle, le rythme des disparitions d'espèces s'accélère et s'amplifie.
Les premiers traités relatifs à la protection des espèces remontent au XIXe siècle et ont été formulés pour des espèces exploitées économiquement par l'homme (phoques et baleines) ou utiles aux activités agricoles (oiseaux). La notion de conservation au sens général, sans bénéfices attendus pour l'Homme, est plus tardive. La prise de conscience se structure progressivement au cours du XXe siècle par le biais de conférences internationales, d'organisations non gouvernementales ou d'associations. Les menaces qui pèsent sur des espèces emblématiques comme les éléphants ou les tigres font écho auprès du grand public.
Dans ce contexte, l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) est créée en 1948 à Fontainebleau. Institution de référence au niveau mondial, elle est devenue l'une des principales organisations non gouvernementales engagées dans la conservation de la nature, et édite depuis 1964 la liste rouge des espèces protégées.
En 1975, la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES), ratifiée par quatre-vingts états, entre en vigueur. La convention de Washington a pour but "de veiller à ce que le commerce international des spécimens d'animaux et de plantes sauvages ne menace pas la survie des espèces auxquelles ils appartiennent". Il ne faut cependant pas oublier que ce traité international n'aborde la conservation des espèces que sous l'angle de la régulation du commerce.
De nos jours, le terme de biodiversité est très utilisé. Il est formulé pour la première fois en 1984, et ne se réduit pas au simple inventaire des organismes vivants. La notion de biodiversité invite à prendre en considération la variation génétique ou spécifique des individus, et les relations qu'ils entretiennent entre eux et avec leur milieu ambiant en constante évolution, d'où le rôle important de la prise en compte de ce concept dans la protection de l'environnement.
À la lumière des données alarmantes publiées sur la biodiversité et des menaces qui pèsent sur les espèces, le muséum est un lieu d'expression et de diffusion des questions d'actualité scientifique et permet d'expliquer auprès du public quels sont les enjeux environnementaux contemporains. Les collections des muséums, en tant qu'archives du patrimoine naturel planétaire, jouent en ce sens un rôle de témoin pour la valorisation de cette biodiversité passée et actuelle.
Le thylacine ou loup de Tasmanie est un marsupial carnivore de la taille d'un gros chien, au dos rayé de bandes sombres et à la longue queue robuste. Animal souffrant d'une mauvaise réputation, considéré comme nuisible, il a été abondamment chassé en raison des menaces perçues sur le bétail, des primes étant même offertes à l'abattage. Le dernier spécimen de thylacine s'est éteint en captivité en 1936. Deux erreurs anatomiques ont été introduites par le taxidermiste sur la naturalisation du Muséum-Aquarium, en raison probablement de sa méconnaissance de l'animal. Il se tient sur ses pattes postérieures à la manière d'un kangourou et la poche marsupiale s'ouvre sur l'avant plutôt que sur l'arrière.
Également appelé lion de Barbarie, le lion de l'Atlas est une sous-espèce de lion originaire d'Afrique du Nord. Il se distingue de son cousin africain par sa longue crinière fournie de couleur sombre descendant jusqu'au milieu du ventre. Symbole de puissance, le lion de l'Atlas a été utilisé par les Romains pour les jeux du cirque et les combats de gladiateurs. Son habitat naturel, du Maroc à l'Égypte, s'est progressivement réduit en raison de la chasse et de la raréfaction des proies. Disparu à l'état sauvage depuis les années quarante, il en subsiste encore quelques individus en captivité. Les deux spécimens adultes, mâle et femelle, du Muséum-Aquarium proviennent d'Algérie et dateraient du XIXe siècle.
L'histoire de la colombe voyageuse témoigne d'une des plus grandes disparitions en nombre de l'histoire moderne. Au début du XIXe siècle, les effectifs de cette espèce d'Amérique du Nord représentaient quelques milliards d'individus. La colombe voyageuse se déplaçait en larges colonies comptant plusieurs millions d'oiseaux et les ravages produits sur les cultures en ont fait la cible privilégiée des agriculteurs et colons, d'autant qu'il s'agissait d'une proie facile. La population ayant atteint un seuil critique en 1870, elle a ensuite rapidement décliné et le dernier représentant s'est éteint en captivité en 1914 au zoo de Cincinnati. Le Muséum-Aquarium conserve quatre représentants de cette espèce.
Comme son nom l'indique, l'hippopotame nain de Madagascar est plus petit que son cousin d'Afrique continentale et endémique du territoire malgache. Deux espèces subfossiles d'hippopotames nains ont été décrites, l'une est inféodée aux plaines et rivières du sud-ouest de l'île alors que l'autre, plus terrestre, vivait probablement dans les forêts des hauts-plateaux malgaches. La date d'arrivée des hippopotames à Madagascar est encore à préciser. Cependant, constituant une proie facile pour la chasse, ils auraient disparu après le Xe siècle, à la suite de la colonisation de l'île par l'Homme. Le crâne complet conservé au Muséum-Aquarium a été acquis auprès de particuliers en 1947.
Les couas, oiseaux élancés à la longue queue de la famille des coucous, sont des espèces endémiques de Madagascar. Celui-ci, nommé en hommage au naturaliste Pierre-Antoine Delalande, vivait sur l'île de Sainte-Marie au nord-est de l'archipel malgache. Espèce terrestre inféodée aux forêts tropicales primaires, il a souffert de la déforestation exercée avec l'arrivée de nombreux colons au XIXe siècle. Le coua de Delalande demeure connu à travers seulement treize spécimens de par le monde, dont le plus récent est daté de 1834. Peu d'informations subsistent malheureusement sur le spécimen des collections du Muséum-aquarium, le lieu et la date de collecte étant notamment absents.
Le bezoule est un poisson endémique du lac du Bourget. Il fait partie du groupe des corégones, poissons proches des saumons peuplant les profondeurs des grands lacs alpins. L'introduction d'autres espèces, la variabilité morphologique et le manque de données biologiques rendent cependant difficile l'étude de ce groupe et la répartition entre les différentes espèces. Décrit en 1888 par le naturaliste Victor Fatio, le bezoule semble avoir disparu dans les années soixante, d'après les récits rapportés d'anciens pêcheurs. Les deux spécimens conservés au Muséum-Aquarium de Nancy, datés de septembre 1898, proviennent d'un don de Lucien Cuénot. Ce sont parmi les rares représentants de ce poisson présents dans les collections françaises.
DELAUNAY Sandra, 2018.
Préserver les espèces avant qu'elles ne disparaissent. Nature en collections : Témoignages du vivant, Muséum-Aquarium de Nancy. Nancy, p. 106-115